Expédition au Denali

Pas de sommet mais une super première expé dans un magnifique massif – Etats-Unis – Alaska

Du haut de ses 6174m, le Denali (ou Mc Kinley), plus haut sommet des Etats-Unis, règne en maître sur un magnifique massif de glace et offre des conditions difficiles aux prétendants aux sommets.

Lire le compte-rendu complet, avec des images, dans le document joint ci-dessous.

Le weekend prépa dans le massif du Mont Blanc est par ici !

Denali

Samedi 28 : Vosges – Paris

Mes 3 gros sacs chargés dans le train à Nomexy, je fais un dernier signe de la main à mes parents. 11h18, direction Paris puis Saint-Ouen où m’attendent Patricia, Gérard, Mathieu et Jérôme. Mon passage à Paris est l’occasion de leur rendre une visite très sympathique. Mathieu me montre son futur appart.

Dimanche 29 : Paris – Anchorage

Le lendemain matin, Gérard me dépose à l’aéroport. Patrice est déjà là. J’enregistre sans problème mon sac et ma paire de skis en tant que bagages hors limites, ce qui me coûte 70$. Maxime nous rejoint à la porte d’embarquement.
A Newark, nous rejoignons l’équipe belge, Nicolas, Johann et Geert. En passant par Seattle, nous atteignons finalement Anchorage dimanche soir à 23h45 après une journée interminable du fait du décalage horaire de 10h. Mauvaise surprise : Nicolas n’a pas ses skis. Nous nous entassons dans la voiture à Jason, le gérant de l’hôtel, et Jérôme, venu à notre rencontre, est obligé de se coucher sur les sacs. Nous nous couchons à 2h après une journée de 31h.

Lundi 30 : préparatifs à Anchorage

Le ballet des mouettes dehors me réveille doucement. La journée est largement consacrée à la préparation et la répartition de la nourriture. Manon et Jérôme, arrivés un jour avant, ont déjà ramené un caddie complet et je retourne au supermarché avec Jérôme pour en ramener un deuxième ! Nous étalons tout dehors et faisons des tas de 8 pour la distribution des lyophilisés et des casse- croûtes du midi. Chacun gère ensuite la quantité de ses vivres personnelles (thé, sucre, soupes, café, muesli, barres énergétiques, chocolat, compotes …). Le repas de midi au « Buffalo Wild Wings – Grill &Bar » avec des écrans géants tout autour de nous diffusant du sport nous plonge dans l’atmosphère typique américaine.


Nous sympathisons également avec l’autre groupe français : Enrico, Gary, Christophe, Fabrice, Fred, Maoro et Miriam.

Mardi 1er : Anchorage – Talkeetna

Jason nous amène à Talkeetna, 200 km au nord d’Anchorage. Charmant petit village, un petit « Chamonix » du parc national du Denali, c’est le point de départ de la grande majorité des expéditions. Le« Roadhouse » où nous sommes logés n’a rien à voir avec l’hôtel de Jason. Ici, l’ambiance est chaleureuse et nous mangeons très bien (pasties, English breakfast, pastries …)
Nicolas passe encore beaucoup de temps à se battre avec les compagnies aériennes pour se faire livrer ses skis mais il ne les récupérera finalement qu’au retour, l’obligeant à acheter du matériel et louer une paire de raquettes à l’AMS (Alaska Mountaineering School).
J’accompagne Maxime et Jérôme à K2 Aviation, la société qui nous amènera au Base Camp sur le glacier, point de départ de notre aventure. Nous louons un téléphone satellite, commandons 10 gallons (10 bidons de 3,8 litres) d’essence que nous récupérerons au Base Camp et prenons toutes les informations nécessaires.


A 14h45, nous avons rendez-vous chez les rangers du parc national du Denali. L’accès au parc est très réglementé afin de préserver l’espace naturel des nombreux grimpeurs qui viennent chaque année. Il est obligatoire de s’enregistrer et de payer plusieurs mois à l’avance en définissant un leader, Maxime pour nous. L’accès y est formellement interdit aux expéditions commerciales. Seules 4 compagnies de guides américaines sont habilitées à emmener des clients. C’est pourquoi nous sommes un peu inquiets sachant que Jérôme est guide. Mais ils sont très cordiaux. L’endroit est très beau avec des informations de toutes sortes sur la montagne. Nous insérons chacun une épingle sur la carte du monde indiquant d’où viennent les grimpeurs de l’année. Un tableau indique le nombre de personnes sur la montagne, le nombre déjà parti et le nombre de personnes qui sont allées au sommet, encore vierge cette année. Le briefing nous rappelle le sérieux de l’expédition. 9 morts ont été enregistrées l’année passée. Le ranger, à l’aide d’images de l’itinéraire projetées sur grand écran, parcourt avec nous l’itinéraire en mettant l’accent sur les passages dangereux (avalanches, séracs, crevasses, endroits particulièrement exposés aux vents, points en glaces vives) et les endroits à sécuriser. Il nous briefe également sur les bonnes pratiques à adopter. Tous nous déchets sont bien sûr à redescendre. Pour les déchets humains, il nous distribue 4 CMC (Clean Mountain Containers) et des sacs biodégradables à mettre dans ces pots en plastique vert immédiatement surnommé « pot à miel » par Johan, expression définitivement adoptée par l’ensemble du groupe pour toute la durée de l’expé ! Une fois pleins, il faut aller jeter les sacs dans une crevasse profonde. Le traitement des déchets humains en montagne est un gros problème et cette solution permet d’avoir une montagne propre, ce qui est très agréable sachant que la neige qui nous entoure est aussi notre source d’eau potable. Il nous donne également notre permis, preuve que nous sommes un groupe enregistré, ainsi que les étiquettes à coller sur les drapeaux marquant nos caches. Celles-ci nous permettront d’enfouir du matériel et de la nourriture sous la neige en prévision de la descente ou de la montée future. Elles doivent être assez profondes pour ne pas être déterrées par les corbeaux ou le vent. Il faudra cependant toujours veiller à garder assez de nourriture avec nous en cas de mauvais temps qui nous immobiliserait pendant plusieurs jours. Il serait bête de monter toute notre nourriture dans une cache plus haut et ne plus rien avoir à manger dans un camp inférieur ! Tout cela demande une gestion et une stratégie bien pensée.


Nos sacs que nous emmènerons dans l’avion doivent être pesés, donc nous les bouclons définitivement pour les déposer chez K2 Aviation.


Le soir nous voyons revenir l’autre groupe qui a décollé mais n’a pas pu atterrir sur le glacier à cause du mauvais temps.

Mercredi 2 : Talkeetna – camp 1

Après un full standard breakfast, histoire de faire le plein, nous prenons l’avion. Le vol est superbe. Le pilote discute avec nous, dévie momentanément de sa route pour se mettre de côté par rapport au Denali afin que nous puissions tous le voir par la fenêtre. Superbe ! Sur le glacier « Kahiltna Glacier » la mise en route est longue car nous devons charger les pulkas, faire une cache pour enfouir notre bidon bleu qui contient les restes de nourriture pour le cas où nous serions coincés au camp de base au retour si l’avion ne vole pas. Nous organisons aussi les 2 cordées, une en raquette (Geert, Johan, Manon et Nicolas) et l’autre en ski (Maxime, Jérôme, Patrice et Yann). Contournant la belle masse du « Mount Frances », nous rejoignons directement le camp 1, assez tardivement, vers 18h30, d’autant plus que nous devons creuser pour installer nos tentes. Heureusement l’autre groupe est là et certains nous donnent un coup de main. Là, il est 21h50, il fait encore grand jour (il n’y a que 2h de pénombre ici à cette époque) et le réchaud tourne toujours pour faire de l’eau pour nos 4 thermos du lendemain.

Jeudi 3 : camp 1 – camp 2

Nous n’avons pas encore nos habitudes, si bien que la mise en route est longue. Nous attaquons par une montée « Ski Hill » avec un petit rythme et continuons sous un temps bâché, ce qui nous évite d’avoir trop chaud, pour arriver au camp 2 à 16h00. L’autre groupe est là et commence même à se faire du souci. Ils ont mis 2h30 alors que nous avons mis le double ! En arrivant, nous montons le camp et les murs de neige pour protéger les tentes du vent. Le résultat est loin d’être aussi réussi que l’emplacement laissé par les rangers avec une table et des bancs mais occupé par l’autre groupe. J’entends alors dire que les rangers pensaient qu’il n’y aurait, d’après eux, personne au sommet avant 15 jours. Le temps se dégage petit à petit.


Là, il est 18h16, il fait grand beau, et je suis devant le réchaud patiemment en train de faire fondre la neige de nos soupes.

Vendredi 4 : camp 2 – camp 3

Camp 3


Aujourd’hui, nous montons au « Motorcycle Hill Camp » ou camp 3. Plus rapide à la mise en route, nous nous dirigeons vers le nord avec le magnifique « Kahiltna Dome » et le « Kahiltna Pass » en face de nous. La trace est bien raide sur la fin avant de bifurquer vers le nord. Le temps est encore brumeux si bien que nous n’avons pas trop chaud. J’essaie une nouvelle technique pour tirer la pulka en mettant une sangle non plus autour de moi mais autour de mon sac à dos. Ca va un peu mieux, même si les bretelles usées de mon sac à dos me scient d’avantage les épaules. La cordée des skieurs arrive avant celle des raquettistes et nous commençons le camp alors Jérôme redescend donner un coup de main. Lorsque les autres arrivent nous cassons la croûte avant de continuer. Arrivés de bonne heure, nous prenons le temps de faire un bon camp, d’autant plus que nous serons normalement là pour 3 nuits si tout se passe selon nos plans. Creuser, découper des blocs, monter les murs, aplanir, monter les tentes, tout cela nous prend toute l’après midi. La vue est superbe et j’ai vraiment le sentiment d’être à ma place ici.


Là il est 18h55, je suis devant la popote qui chauffe l’eau de nos soupes. Je n’ai pas froid, le ciel est dégagé.

Samedi 5 : repos camp 3

J’ai eu un peu froid aux pieds cette nuit. Maxime me dit qu’il a fait -19°C dans la tente. C’est une belle journée pour cette journée de repos et d’acclimatation. Nous préparons nourriture et essence pour le portage du lendemain, redistribuons les casse-croûtes du midi entre nous
, fixons des cordelettes sur nos pieux et creusons un grand trou en prévision de notre cache du surlendemain lorsque nous quitterons le camp.


L’autre groupe revient de leur portage jusqu’à la cache un peu après le « Windy Corner ». Ce passage est réputé pour ses vents très forts, bloquant souvent les groupes au camp inférieur ou au camp supérieur à la descente. Aujourd’hui, ils ont sorti les doudounes et le masque de ski qu’ils nous recommandent d’avoir à portée de main.

Dimanche 6 : portage camp 4

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Dans la première montée couramment appelée « Motorcycle Hill », à 10h15, je suis le seul à penser que nous devons avoir un nouveau président ! Nous laissons skis et raquettes au col puis continuons vers « Squirrel Point » en crampons. Nous perdons beaucoup de temps dans les manips de cordes que tout le monde ne maitrise pas encore. Maoro, en skis, se joint aujourd’hui à nous. L’endroit est en glace vive par endroit et il s’agit de ne pas s’en coller une. Je passe le « Windy Corner » avec 2 tee shirts manches longues ! L’étape du jour est vraiment grandiose, « smashing » ! Après « Windy Corner », on longe la rive droite du glacier à la base de l’arête ouest ou « West Buttress ». C’est le passage le plus crevassé de toute l’ascension. 2 skieurs qui descendent en skis déclarent avoir fait le sommet la veille, ce qui est de bon augure pour la suite. Nous passons la cache où d’autres groupes laissent des affaires. Je suis encordé avec Max et Patrice ; ce dernier se fait une belle frayeur en tombant jusqu’à la taille dans la dernière crevasse avant le camp 4. A l’approche du camp, nous avons une première vue sur la suite et le passage de cordes fixes surnommé « Headwall ».


Arrivés les premiers, nous creusons la cache. Une fois tous les sacs plastiques regroupés, nous les déposons et repartons tous vers 18h00. Installés au camp 4, Christophe, Fred et Fabrice nous chauffent de l’eau car nous sommes à sec. Sympa ! Je me sens léger pour la première fois ! De retour au col, je suis le seul à descendre en skis jusqu’au camp 3 que j’atteins à 20h00. Je me devais quand même d’essayer les skis que m’a prêtés le CAF de Strasbourg avec les fixations Silvretta. Merci à Thierry de me les avoir si bien préparés ! Quelques échanges avec Enrico et Gary qui commençaient à se faire du souci et je saute sur le réchaud pour faire de l’eau. J’écris d’ailleurs ces lignes devant l’eau frémissante. Il est 20h30.

Lundi 7 : camp 3 – camp 4

Pour la première fois, je n’ai pas froid aux pieds et je dors très bien. Suivant le conseil de Jérôme, j’ai gardé les chaussons de mes chaussures. Patrice et moi avons choisi de monter tout le muesli commun qui nous restait pour les camps supérieurs, donc je me fais un lyo (sauté de lapin aux carottes) en guise de petit déjeuner.


Démontage des tentes, enfouissement des pulkas, sacs d’expé, pelles inutiles, skis, raquettes, bidons d’essence vides, et je pars pour notre deuxième montée de la « Motorcycle Hill » directement en crampons encordé avec Patrice et Manon. Passé le « Squirrel Point », nous allons si doucement que j’ai plus l’impression de déambuler dans la montagne que de marcher. C’est très agréable si j’oublie la charge avec tout le reste du camp qui pèse sur mes épaules et le fait que je sais que nous prenons du retard et que ce soir, l’établissement du camp va être difficile sans le soleil.


Au « Windy Corner », Manon n’en peut plus et préfère aller s’encorder avec Geert, Johan et Jérôme qui sont plus lents. Cela nous permet de rattraper Maxime et Nicolas et de rejoindre plus vite le camp 4 vers 18h00. Nous déterrons la cache et commençons le camp. Nicolas s’affaire à préparer de l’eau pour tout le monde. Manon est à bout de force et s’écroule sous la charge de son sac. Jérôme le lui porte par je ne sais quel exploit étant donné la dimension impressionnante du sien ! Quand il le pose enfin à côté des premières tentes montées, un petit oiseau vient dessus. C’est la première fois que j’en vois.


Le camp 4 est aussi appelé le « Medical Camp ». Les rangers sont là en permanence sous de grosses tentes rondes pour nous informer, nous conseiller et ont du matériel de premiers secours, notamment un caisson hyperbare. Acclimatés, ils peuvent également intervenir en cas d’urgence. Ils nous sautent dessus, demandant à tout le monde qui est le guide et si si nous l’avons payé. Bien sûr, nous répondons que non. Ils nous prennent notre permis et nous préviennent que s’ils découvrent que c’est une expé commerciale nous descendons tout de suite. Ils me prennent, pour ma part, pour l’assistant guide ! Ils doivent revenir le lendemain matin après avoir fait des recherches.

Mardi 8 : repos camp 4

J’ai de nouveau froid aux pieds toute la nuit. Mes chaussons sont gelés, les chaufferettes ne marchent pas. Au réveil, il a encore plus de givre dans la tente que d’habitude. Je la brosse du mieux possible de mon sac de couchage et de mon sursac. Celui-ci est censé être respirant mais j’ai systématiquement de la glace entre mon sac et mon sursac. Une fois enlevée, mon sac reste néanmoins relativement sec hormis la partie supérieure exposée à ma respiration qui génère toute l’humidité à l’origine du givre. Max a eu du -25° dans la tente cette nuit ce qui doit bien faire du -35°C dehors.


Je me lève à 10h00 avec le soleil mais suis quand même le premier debout ! Les rangers viennent. Ils ont découvert que Jérôme est guide, ce qui est naturellement suspect. Ils nous conseillent d’être honnêtes et menacent de l’envoyer devant les tribunaux s’ils découvrent que l’expé est commerciale. Nous leur expliquons la constitution du groupe, Johan leur parle de son projet des 7 Summits et ils finissent par accepter l’explication en disant qu’ils continueront les recherches à Talkeetna. Ils repartent cordiales.


La journée est super agréable. Il fait grand beau et je profite largement du panorama exceptionnel notamment sur les Mont Foraker et Mont Hunter. Je fais un brin de toilette, torse nu, à me frotter avec de la neige et un peu de savon soi-disant biodégradable. Les discussions tournent vite à l’élaboration de la stratégie des jours à venir. Le temps est censé se dégrader légèrement dans les jours à venir avec du vent un peu plus fort. En forme, Maxime et moi décidons de monter au camp 5 pour tenter le sommet le surlendemain. Johan, Geert et Nicolas feraient un portage au camp 5. Patrice s’arrête définitivement au camp 4 et Manon se repose aujourd’hui au moins. Est-ce la bonne solution, je n’en suis pas persuadé. Il nous reste 5 jours au-dessus du camp 4. N’est ce pas se précipiter ? Mais avec ce temps qui tend à se dégrader, ce sera peut-être notre seule chance et après tout nous avons quand même bénéficié d’une journée de repos. Si, il faut tenter notre chance.


Mais alors que je prépare consciencieusement mon sac pour ces 3 jours là haut, Maxime vient me voir dans la tente. Il a discuté avec Maoro, Fred et Enrico qui lui ont fortement déconseillé, lui disant que c’est du suicide. Nous ne sommes pas assez acclimatés et faire la montée au camp 5 et le sommet dans la foulée sans portage serait vraiment trop dur. J’acquiesce tout de suite. Nous ferons donc un portage au camp 5 avant les 2 jours d’ascension.


Là, il est 18h00, on allume tranquillement les réchauds, toujours sous le soleil pour pouvoir se coucher plus tôt. J’apprends à l’instant par Jérôme que les rangers connaissent notre nouveau président, Mr François Hollande ! Cap vers l’ouest pour la France !


Plus tard dans la soirée, Jérôme me fait remarquer que j’ai le visage enflé, signe de mauvaise acclimatation. Ca m’inquiète un peu, je me sens pourtant très bien et j’évacue tout à fait normalement. Je me surveillerai.

Mercredi 9 : portage « Washburn’s Thumb »

Encordé avec Jérôme, ce n’est pas la grande forme ce matin au démarrage. Nous montons doucement en direction de la rimaye où démarrent les cordes fixes du « Headwall ». Une pour monter, à droite, une pour descendre, à gauche. Fred et Christophe sont un peu devant. Fabrice un peu derrière. Maxime et Nicolas nous doublent alors que nous nous arrêtons manger un morceau peu avant la rimaye. Geert et Johan nous rejoignent mais ce dernier préférerait monter un peu plus vite. Je m’encorde donc avec lui. Jérôme reste avec Geert. J’insère mon jumar dans la corde, clippe ma deuxième longe et m’engage. Cette partie est très sympa et je me sens bien mieux à présent. J’atteins sans difficulté le col où nous attendent Maoro, Miriam, Nicolas et Maxime. Le vent souffle un peu plus fort ici et nous nous impatientons. Christophe, Fred, Enrico et Gary redescendent déjà. Fatigués, ils ne sont allés que jusqu’au pied d’une autre corde fixe où ils ont déposé du matériel. Enfin, nous voyons apparaître Jérôme, seul, qui a dû mouliner Geert en bas, celui-ci ayant abandonné devant les difficultés. Nous avançons encore un peu et Nicolas s’arrête, se sentant un peu fatigué. Il descendra avec Maoro lorsque ce dernier redescendra. Nous nous partageons son sac et continuons sur la belle arête. Quelques passages délicats nécessitent de se protéger. Des points sont d’ailleurs là comme pour nous inciter à nous clipper dedans. Quelle ambiance ici avec le gaz de chaque côté ! Nous passons l’endroit où les rangers conseillaient de faire une cache.


A 17h00, nous arrivons aux cordes fixes au pied d’un rocher connu sous le nom de « Washburn’s Thumb » à environ 5100 m. Une cordée de 3 suisses descend l’un d’eux qui a des gelures aux doigts, les 2 autres remonteront après. Nous faisons la cache et j’engage la descente avec Max. Peu avant 18h30 au col, ça souffle assez fort maintenant et nous nous empressons de descendre les cordes fixes que nous négocions rapidement et efficacement.


Nous rentrons quelques instants avant que le soleil ne disparaisse derrière la montagne et nous laisse dans le froid. Une superbe journée, mais éprouvante, si bien que nous choisissons de nous donner une journée de repos avant de remonter pour faire le sommet.

Jeudi 10 : repos programmé – 1er jour de mauvais temps

Cette nuit, la tente a pliée sous les rafales de vent. J’ai relativement bien dormi malgré le vent et mon nez bouché qui m’oblige à respirer par la bouche. Résultat, ma langue est irritée à force de respirer de l’air froid et sec.


Je mets le nez dehors seulement à 10h00 comme on s’était donné un jour de repos. Je n’y vois rien. Un brouillard à couper au couteau et le vent souffle toujours par intermittence. Enrico et Fred sont allés voir la météo chez les rangers. Ca va être encore pire demain avec peut-être une chance d’amélioration samedi. Jérôme passe à notre tente et nous fait part de ces réflexions. Il nous faut être au camp 3 lundi au plus tard pour avoir un jour de rab au cas où l’avion ne vole pas.


Là, il est 13h50 d’après Patrice car ma montre m’a lâchée et j’ai laissé, comme un abruti, ma pile de rechange au camp 3 ! Je viens à l’instant de passer mon thermos d’eau chaude à Manon et Jérôme qui n’ont pas de réchaud et qui n’ont encore rien mangé. Leur réchaud est dans la cache sous le « Washburn’s Thumb » …


L’autre groupe ont eux laissé une tente là-haut qu’ils ne pourront probablement pas reprendre comme ils ont un jour de moins que nous. Personnellement, j’ai laissé de la nourriture pour 3 jours et la pelle à Marie là haut… La nourriture va aussi commencer à être problématique car nous en avons chacun pas mal là-haut.


Nous scions et ajoutons des blocs pour renforcer les murs de neige, ce qui nous fait bouger un peu.


Heureusement que nous n’avons pas programmé le sommet aujourd’hui comme nous voulions le faire avec Max. Nous serions simplement coincés là-haut dans les conditions extrêmement difficiles du camp 5 à 5200m.


Voilà, nous sommes maintenant dans l’incertitude, alors que l’autre groupe pense déjà que c’est foutu pour eux.

Vendredi 11 : repos forcé – 2ème jour de mauvais temps

C’est mon anniversaire aujourd’hui ! Je m’en souviendrai de celui-ci ! Les rafales ont été encore plus fortes cette nuit. Je vais vois la météo chez les rangers avec Jérôme. Samedi, le temps doit s’améliorer doucement pour vraiment être mieux samedi soir. Dimanche et lundi doivent être meilleurs… Nous allons discuter avec Christophe, Fabrice, Fred et Enrico. Ca craint, même si le sommet est encore possible, il faut pouvoir redescendre et passer le « Windy Corner ». Actuellement, tous les camps plus bas sont pleins et plus personne ne peut monter (ni descendre). Les rangers m’ont également dit qu’ils doutaient que les 2 personnes qui déclarent être allées au sommet y soient vraiment allées et ils n’ont pas de photo pour le prouver. Une des 2 personnes va se faire amputer des orteils.


Lorsqu’il n’y a pas de vent le temps est finalement un peu meilleur qu’hier, ce qui me permet de manger dehors.


L’autre groupe est passé et on retourne tous ensemble voir la météo. Instable, 6 inches (15cm) de neige, 25 à 40 mph de vent (40 à 65 km/h), -40°F (-40°C) au camp 5 ; -15°F (-26°C) au camp 4 et -10°F (-23°C) demain au camp 4.


Avec Maxime, notre plan est de monter si possible demain pour récupérer le matériel et voir si on reste au camp 5 ou si on redescend. Encore beaucoup d’incertitudes en cette journée du 11 mai avec toujours un petit espoir pour le sommet mais qui s’amenuise avec le temps qui passe. La motivation est toujours là. J’irais, par exemple, bien au camp 5 juste pour le voir et refaire cette belle étape. Affaire à suivre !


Là, il est 18h30, j’allume le réchaud. Je viens de passer les derniers fringues propres et notamment mon collant chaud pour le cas où nous devrions monter plus haut demain. Maintenant, « miam-miam » et « dodo » !

Samedi 12 : repos forcé – 3ème jour de mauvais temps

Aujourd’hui, c’est l’anniversaire à Manon. Le temps ne s’améliore pas. Nos sacs sont prêts pour descendre, seules les tentes restent à plier. L’autre groupe est descendu. Les rangers nous conseillent d’attendre 16h pour passer « Windy Corner » vers 18h00.


Maoro monte chercher ses skis à la rimaye. Il semble ne plus bouger, on s’inquiète. Nous allons voir Miriam qui s’inquiète aussi. Je laisse un message sur son téléphone satellite. Puis on le voit sur les cordes fixes. OK, il a décidé de monter chercher ses affaires. Jérôme essaye ses raquettes qui s’adaptent sur les crampons. Ca va bien et elles sont légères. C’est bizarre, je suis encore heureux d’être là malgré le blizzard. Finalement, étant donné le temps nous décidons de rester au camp 4. Maoro rentre enfin, l’air un peu fatigué. Nous allons tous boire un thé dans la tente des belges dans une ambiance fort sympathique.


Nous remontons une fois de plus voir les rangers pour avoir la météo, les informer que Maoro est rentré et aussi pour demander le lieu d’une crevasse pour jeter nos sacs du pot de miel. Les 6 personnes au camp 5 sont toujours coincées là-haut. Demain, le départ pour le camp 1 est prévu à 9h30…

Dimanche 13 : camp 4 – camp 1

Au réveil, il fait beau, presque trop beau, nous incitant plus à monter qu’à descendre. Jérôme a des doutes, vient me voir et parle aussi à Maxime. Il se demande si on ne devrait pas aller chercher le matériel. Il a le sentiment d’être un touriste sur cette montagne et de fuir. Mais une bonne partie du groupe n’attend qu’une seule chose, c’est descendre. Maoro vient avec nous. J’ai froid aux pieds à en chialer ce matin en levant le camp. Patrice, lui, est obligé de se les réchauffer avec le réchaud ! Nous sommes peut-être encore sortis trop tôt de la tente, avant tout le monde, et cela nous a refroidi.


Le départ, prévu à 9h30 est donné à 11h00. Mais c’est vrai que cela prend du temps de tout faire renter dans nos sacs à dos. Je n’ai jamais porté aussi lourd de ma vie. En plus, j’ai une contracture en haut de ma jambe droite qui m’embête. Des choses sont accrochées sur tous les sacs, essence, tente, poubelle, pots de miel…


Une fois de plus nous avons de la chance, « Windy Corner » est calme. Le temps n’est quand même pas au beau fixe. Des nuages s’accrochent sur le Mont Foraker , souvent signe de perturbations à venir. Je prends Patrice et Manon sur ma corde et nous descendons « Squirrel Point » sans encombre.


Je déterre la cache au camp 3 et en sors pelles, pulkas, bidons d’essence, skis, raquettes et sacs d’expé. Une vraie chasse au trésor ! La descente en skis avec Patrice est ludique, lui devant et moi derrière à retenir les 2 pulkas entre nous. Nos croisons beaucoup de monde qui monte ; Maoro et Miriam restent au camp 2. Je déterre la cache du camp 2 (un bidon d’essence vide et une poubelle) qui est aussi profonde que ma taille avec toutes ces chutes de neige. D’ailleurs, la belle installation des rangers est complètement recouverte et on reconnaît à peine le camp. J’appelle K2 Aviation avec le téléphone satellite et réserve un créneau pour 15h00 le lendemain. Il doit être confirmé lorsque nous arriverons au camp de base. Nous filons ensuite au camp 1 où nous profitons pour la première fois d’emplacements vides creusés par d’autres groupes. Les raquettistes arrivent bien plus tard, sauf Johan qui fait une descente rapide en solo.


Il fait moins froid. Nous mangeons la soupe et notre lyo dehors. Le coucher de soleil sur la montagne est magnifique, quelques nuages reflétant les derniers rayons. Plus haut, ça semble bouché. A-t-on bien fait de descendre si vite ? Tout s’est déroulé selon nos plans, camp 4 – camp 1 et demain si nous décollons, nous allons même rentrer avec 2 jours d’avance … Mais pouvions- nous prévoir que la descente se passerait si bien ?

Lundi 14 : camp1 – vol Talkeetna

J’ai passé une bonne nuit un peu moins froide à cette altitude moindre. Je mets le réchaud dehors pour faire chauffer l’eau de notre petit déjeuner. Le soleil apparaît tôt, vers 8h30.


Johan et Jérôme déterrent la cache du camp 1, ce qui prend un certain temps. Je suis avec Patrice pour cette superbe étape sous un grand soleil. En tee-shirt, le Denali bien dégagé, je suis un peu nostalgique de partir.


Arrivé au camp de base, je repars au bas de la montée « Heartbreak Hill » pour prendre la pulka à Manon.


Nous avons un peu de turbulence en avion, c’est encore très joli. Nous discutons avec le pilote et entendons les communications des pilotes entre eux dans nos casques. La démonstration d’une montée et d’une descente me surprend, agrippant par reflexe la pile de bagages à côté de moi !


Nous passons récupérer nos passeports dans le coffre de K2 Aviation et sommes transférés au Roadhouse. Une douche, une salade et une part de quiche aux légumes (garden vegetables) nous ramènent vite à la réalité. Nous discutons longuement avec Fabrice, Fred, Christophe et Enrico des possibilités de sommet. Mais, d’après les rangers, il faisait très froid, -32°F (-35°C) au camp 4. Les 6 coincés au camp 5 sont finalement descendus sans faire le sommet.


Le soir, nous sortons au pub, jouons au billard, babyfoot, buvons de l’Alaskan amber ale et j’envoie mon premier mail pour donner des nouvelles à la famille.

Mardi 15 : Talkeetna

Chez les rangers


Le matin est bien rempli, préparation des sacs, promenades dans Talkeetna, boutiques souvenirs, au revoir à l’autre groupe. Jérôme, Patrice, Geert, Johan et moi, qui ne nous sommes pas levés trop tard, profitons une dernière fois de la bonne cuisine du « Roadhouse ».


L’après midi, nous passons aux bureaux des rangers pour leur notifier que nous sommes rentrés et pour leur rendre les CMC.
Les statistiques affichent beaucoup plus de grimpeurs sur la montagne, mais toujours que les 2 supposés au sommet.


Nous faisons les comptes entre nous, puis prenons le temps pour un débriefing bien utile de l’ascension. Jason nous récupère à 17h00, et nous nous retrouvons une fois de plus au Buffalo.

Mercredi 16 : Anchorage – Seward

Surprise, un tremblement de terre nous a secoués dans notre sommeil vers 6h30, de magnitude 4.6 mais profond donc sans conséquence. Heureusement, rien à voir avec celui de 1964, surnommé « Great Alaskan Earthquake », de magnitude 9,2, en 2ème position des tremblements les plus forts jamais enregistrés.


L’idée nous est venue de louer un camping car. Nous faisons quelques courses au « Wallmart » et prenons la route vers Seward, sans Manon qui préfère visiter un peu Anchorage. La route est magnifique et nous mène à « Resurrection Bay », une baie sur la péninsule « Kenai ». Nous visitons le « Sealife Center » sur les berges de la baie, centre scientifique et aquarium permettant au public d’avoir un aperçu de la très riche faune de la mer d’Alaska, avec entre autre des octopus, lions de mer, macareux, phoques.

Après un repas au resto italiano-grec, nous prenons des infos pour une excursion en kayak de mer.

Jeudi 17 : Seward – kayak de mer

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Au départ du kayak, un Pygargue à tête blanche , emblème national des Etats-Unis, trône fièrement sur une balustrade.
Un petit bateau ouvert nous emmène, Jérôme et moi, de l’autre côté de la baie. Les autres sont sur un autre bateau couvert. Des dauphins nous font la joie de venir nager juste à la proue et nous éclaboussent alors que nous sommes juste au-dessus d’eux à les admirer.
Nous débarquons sur une petite plage de la crique « Humpy Cove » d’où nous partons en kayak sous l’œil attentif d’un geai de steller, oiseau endémique du continent américain. Avant l’arrêt pique-nique, nous voyons une chèvre des montagnes Rocheuses puis nous nous dirigeons vers une autre crique « Thumb Cove ». C’est très agréable et les paysages mêlant mer et montagne sont fabuleux. Le bateau vient nous rechercher et sur le retour je vois des lions de mer et nous apercevons au loin les projections d’eau provoquées par la respiration d’une baleine dont j’aperçois brièvement le dos.


Nous nous faisons des pâtes bolo avant d’aller prendre une bière dans un pub.

Vendredi 18 : Seward – Anchorage

Un petit footing jusqu’au départ du kayak me permet de profiter une dernière fois de cet environnement exceptionnel. Nous nous affairons ensuite à vidanger nos eaux sales et faire le plein d’essence et de gaz avant de rendre le camping car à Anchorage. Une belle virée en camping car, l’occasion de bonnes rigolades.


Nous prenons l’avion le soir après avoir galéré à l’enregistrement, car certains de nos sacs sont surdimensionnés et ils demandent 200$ pour les prendre ! A 8h00, je suis à Paris et à 15h00 de retour dans les Vosges après une belle expé, même si elle a quand même une petite note d’inachevé…

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