UTMB

Malgré un itinéraire tronqué (103 km – 5300 D+) dû à des conditions difficiles, l’aventure n’en reste pas moins mémorable.


Août 2006, je sors du resto, il fait nuit noire, je viens de conclure une semaine d’alpinisme par l’ascension du Mont Rose (4 563 m) et quelle n’est pas ma surprise quand je vois des gens courir, marcher, boiter, incapable de gravir les 3 marches menant à la pharmacie !!!


L’UTMB, qui passait encore à cette époque à Argentière, est vraiment une folie, déraisonnable et complètement dénué de sens, pensais-je. Et je continue de le penser malgré que je perçoive maintenant les motivations des coureurs pour prendre le départ. Entre tant d’autres, une aventure sportive et humaine extraordinaire, un défi hors norme, avec un but logique, faire le tour du toit de l’Europe en traversant 3 pays : la France, la Suisse et l’Italie.


Seulement, cette année, ça se présente mal. J’ai une méchante contracture dans la fesse, probablement le grand pyramidale donc je ne suis pas au mieux de ma forme. Ajouté à cela, la météo s’annonce franchement mauvaise à l’image du 1er SMS, envoyé par l’organisation :


« Mardi 28/08 19:12 : Attention ! Prévision météo : pluie, neige à 2000 m, vent, froid. Température s’abaissant en-dessous de -5°C. Prévoir équipement hivernal. »


Je remballe le camp. La nuit a été fraîche au camping. Je n’y passerai qu’une seule nuit cette année. Des amis, que je remercie chaleureusement, nous prêtent leur appartement pour la fin de semaine. Après une matinée tranquille à Chamonix, je retrouve mes parents l’après-midi. Je récupère les dernières affaires qu’il manque à mon matériel et je partage, avec eux, ma désormais traditionnelle glace d’avant course. Le soir, un 2ème SMS arrive, ça promet :


« Mercredi 29/08 20:27 : Conditions prévues très froides et difficiles. 4 couches de vêtements indispensables. »


Jeudi matin, nous étudions de près les horaires des bus afin de prévoir au mieux les endroits où ils pourront me retrouver car hormis l’énorme soutien moral qu’ils m’apportent, je compte également sur eux pour mon sac suiveur. Je passe d’ailleurs le reste de la matinée à finir de le préparer en étiquetant mes rations de boisson énergétique en fonction des points où nous devrions nous retrouver. Ceci s’ajoute à des affaires pour me changer, une pharmacie et quelques éléments en double pour palier à l’imprévu. L’après-midi, je vais récupérer mon dossard, me fais poser des bandes de Kinésio-Taping qui doivent aider à réduire la contracture musculaire par réflexe. A 17h30, nous allons à la conférence « Gérer son UTMB » avec une partie pratique avec de nombreux conseils, une partie sur le mental et ses techniques, et une partie consacrée à expliquer les dangers des anti-inflammatoires (AINS).


Vendredi matin, alors que nous revoyons notre stratégie pour nous synchroniser aux ravitaillements, la sentence tombe :


« Vendredi 31/08 11:37 : UTMB : départ vers 19h00. Conditions météo trop difficiles sur les grands cols. Nouveau parcours de 100 km France uniquement. »


Me voilà dans un drôle d’état d’esprit. Tout d’un coup, l’UTMB devient beaucoup plus abordable mais perd tout son sens. Mes seuls objectifs restent simplement prendre du plaisir et finir. Je suis presque un peu soulagé car je ne me sens pas en forme du fait de ma contracture qui m’a empêché de me préparer comme je le voulais. Il y a encore une semaine, je peinais à faire 200m en marchant … J’ai dû, à contrecœur, prendre les anti-inflammatoires que m’avait prescrits mon médecin et que je n’avais pas voulu prendre auparavant. Je sais, et on me l’a largement rappelé lors de la conférence sur le salon de l’UTMB, qu’ils peuvent être très dangereux et je prends bien soin de les arrêter la veille de la course et n’en prends surtout pas avec moi.


Je m’allonge un peu l’après midi puis nous rejoignons Chamonix où nous récupérons au gymnase, une photocopie du parcours. La course empruntera le parcours original jusque La Balme. Ensuite, nous passerons sous le col du Joly, redescendrons vers les Contamines, puis prendrons la direction de La Villette, Bellevue, Les Houches. Nous emprunterons ensuite le petit Balcon Sud, passerons par Tré lé Champs, et nous dirigerons vers l’arrivée à Chamonix via Argentière et le Petit Balcon Nord.


Au départ, j’ai un drôle de sentiment. Cet instant auquel j’ai tellement pensé ne me fait pas plus d’effet qu’une simple petite course locale. J’ai juste envie d’en découdre, d’aller me perdre sur ces sentiers du Mont-Blanc et qui vivra verra !


Au top départ, je suis littéralement porté par la masse des 2482 coureurs. Je mets 1 min 20 pour passer l’arche de départ, 5 min pour commencer à trottiner. Le passage dans les rues de Chamonix, noires de monde, est presque plus sympa que le départ en lui-même.


Jusqu’aux Houches, je passe mon temps à doubler. Je sens ma contracture mais ce n’est rien de plus qu’une petite gêne pour le moment. En fait, ça ira très bien à ce niveau là mais je passerai mon temps à me demander si ça va tenir jusqu’au bout. Suivant le conseil de Guillaume MILLET de la veille, j’essaie de faire cette partie vraiment en échauffement. J’attaque la première montée en direction du Delevert, que je ne connais pas. J’applique avec succès une technique de la conférence d’hier en me trouvant un signe que je peux faire pour me remémorer un moment où je me sentais particulièrement en confiance. Je suis bien et heureux d’être là. Maintenant équipé de ma frontale, je me fais cueillir par le froid et le brouillard en haut sans que ça me dérange plus que ça, puis j’entame la descente où je me casse 2 fois la gueule dans les amas de boue de ces sentiers en devers. Que du bonheur ! Ca me fait rire. Moins drôle, je sens déjà un début de crampe dans les mollets. Je prends un de mes 3 gels antioxydants et bois encore un peu.


L’ambiance à Saint-Gervais, c’est la folie ! Je ne peux taper dans toutes les mains qui me sont tendues. Attention, surtout à ne pas accélérer sous l’effet du public ! J’ajoute simplement un peu d’eau à ma poche à eau pour diluer un peu la boisson énergétique et ainsi pouvoir boire d’avantage. Les Contamines ne sont que dans 10km. Mon père est là avec le sac suiveur mais je cherche ma mère que je verrai finalement en repartant par les escaliers devant l’église.


Ca commence déjà à être un peu difficile dans cette vallée qui mène aux Contamines. Là aussi, c’est très animé. Je refais le plein. « Comment ça va ? », me demande ma mère ; « Ca va, je gère », répondis-je prudemment craignant toujours une défaillance malgré des sensations globalement bonnes. Je m’arrête 500m après car j’ai oublié de mettre ma seconde couche en prévision de l’altitude, de la nuit et du froid.


Sur le site de Notre Dame de la Gorge, l’atmosphère est à la fête avec sa chapelle, toute illuminée en bleu, et ce tapis vert protégeant la pelouse ainsi rendant l’endroit cosy. C’est fou comme la musique de « Dire Straits » me booste alors qu’elle m’accompagne un moment pendant la montée de la voie romaine. J’arrive vite à La Balme ayant enfilé mes gants car il neigeote doucement. Avant le Signal, un long chemin, technique et étroit m’oblige à marcher derrière une file de coureurs. Ca me va bien, je suis tranquille, je me repose.


Ca fait déjà un moment que je le sens mais dans la descente vers les Contamines, j’ai vraiment mal à mon quadriceps droit. Avec cette contracture, j’ai du compenser à gauche si bien que ma jambe droite manque cruellement d’exercice. Je fais avec et rejoins les Contamines, heureux de revoir mes « suiveurs ». Je me surprends à dire à mon père « J’y vais doucement et ça devrait le faire ». Etrange, je ne suis jamais aussi optimiste d’habitude, mais là, c’est sorti naturellement. Suis-je trop confiant ? « 5h17, aux Houches » me lance-t-il à la sortie du ravitaillement. Ca fait beaucoup de temps donc ça doit plutôt être l’heure estimée d’arrivée aux Houches qu’ils ont dû avoir par SMS. Ca me fait une belle jambe, je ne consulte pas ma montre de toute la course !


« Half way, we can do it ! » me lance un anglais en sortant du village. En attaquant la montée, je passe 5 minutes à consulter mon portable qui vient de sonner car il est enfoui dans une poche de ma bretelle de sac à l’intérieur d’un plastique le protégeant de la pluie. Mais je sens que ça vaut le coup car ça ne doit pas être l’organisation. Je ne me trompe pas, c’est un message d’encouragement de Florence, fidèle supportrice qui me suit de loin à Paris. Je souris et poursuis la grimpette, confiant. J’en ai profité pour regarder l’heure, 2h12, donc ça me fait 3h d’autonomie jusqu’aux Houches. C’est raide mais je bascule vite dans une descente interminable. Je n’avais pas fait attention sur le profil mais nous redescendons plus bas que les Contamines. Ma cuisse me fait vraiment souffrir. Je ne suis pas au mieux, je me déconcentre et paf, ma cheville gauche part. Bon, rien de grave pour le moment mais elle est clairement fragilisée et va compliquer encore d’avantage mes prochaines descentes. Enfin, nous remontons vers Bellevue. Des coureurs me doublent avec leur gros phare et je me rends compte que je n’y vois vraiment rien ce qui n’est probablement pas sans lien avec le fait que je me sois tordu la cheville. Grrr, ce sont pourtant des piles neuves, de qualité et pas rechargeables cette année. Décidemment, il va falloir que je revoie ma stratégie d’éclairage. Au petit ravitaillement imprévu de Bellevue, je m’assois par terre pour changer mes piles. Inquiète, une bénévole vient vers moi me demandant si ça va. « Oui, je change juste mes piles. » Elle propose alors immédiatement de m’aider et me ramasse mes anciennes piles. Malgré les conditions difficiles, les 1900 bénévoles, réquisitionnés durant cette semaine de la fête du trail seront aussi formidables qu’indispensables. Un grand merci à eux. D’ailleurs, quand j’arrive au ravitaillement des Houches, elles chantent et dansent ! Ca fait un moment que j’ai du mal à manger et je cherche quelques bricoles qui me font envie. Je pioche finalement une soupe, un verre de Coca et un carré de chocolat avec une demi-tranche de pain d’épice.


La montée après les Houches est une longue partie interminable de route. Je monte à un bon rythme, en marchant, suivant un petit groupe à distance. Ici, j’ai parfois l’impression d’une course dénuée de sens et de faire cette montée juste pour cumuler du dénivelé. Mais je suis bien, c’est facile, j’ai l’impression de faire une simple balade sympa sur une petite route de montagne et je n’ai vraiment pas envie de faire l’effort de courir. Depuis la descente des Houches, j’ai le ventre et les intestins gargouillés : je dois m’arrêter une première fois pour me soulager. Enfin en haut, je range mes bâtons car l’itinéraire bascule dans un joli petit single en forêt très agréable. J’arrive à gérer mes douleurs et me fais plaisir. En bas, ça remonte. Décidemment, comme l’a dit Catherine POLETTI, la directrice de course, c’est un vrai Ultra ! Je redescends dans ce que je crois être la dernière descente. J’accueille le jour avec un large sourire. Ce fut pour moi une première expérience d’une nuit complète dehors, à crapahuter sous la pluie ! Arrivé à un petit ravitaillement, j’entends un bénévole annoncer encore 10 km pour Les Tines. Non, ce n’est pas possible, il veut probablement dire Argentière. Je continue, mais alors que je pensais en avoir terminé avec les grosses montées je me retrouve à serpenter sur un long chemin très raide, difficile avec des marches naturelles et là ce n’est pas de tout repos. Je souffle et trouve la montée interminable. La pente s’adoucit enfin, et encore une fois, j’arrive à me faire plaisir. Finalement, c’était bien 10km pour Les Tines ! J’arrive enfin à Tré le Champs, où j’ai passé plusieurs nuits à l’auberge « La Boerne », et atteins Argentière avec les jambes qui tournent étonnamment bien.


Je ne veux pas m’arrêter trop longtemps de peur de perdre cette dynamique mais le temps de recharger la poche à eau complètement vide et de grignoter un peu et mes muscles sont déjà raides et douloureux. J’ai vraiment du mal à courir et trottine au ralenti. J’imagine les réflexions de ceux qui m’encouragent. « Lui, il a l’air d’avoir du mal, ça va être long pour arriver à Chamonix ! ». Mais non, peu à peu ça revient. Par moments, j’ai l’impression d’aller aussi vite que lorsque je vais faire un petit footing d’une heure. Je profite encore de ce « Petit Balcon Nord » que je n’ai jamais emprunté auparavant plus habitué à la rive droite de l’Arve pour me rendre à Chamonix depuis Argentière. Alors que je me rapproche de l’arrivée de nombreux photographes nous prennent au détour des chemins. Voilà, le golf, puis le parc juste à l’extérieur de Chamonix. Je double de nombreux coureurs de la CCC qui marchent. Je passe sous l’arche près du gymnase qui marque le dernier kilomètre, longe l’Arve et entre dans les rues de Chamonix où je suis accueilli par une foule d’applaudissements et le speaker qui doit trouver un commentaire à faire sur tous les arrivants.


A l’arrivée, je retrouve mes parents que je remercie beaucoup pour leur aide et leur soutien. Eux aussi ont vécu une aventure durant cette nuit blanche, jonglant avec les bus, alternant moments d’excitations et moments d’attentes. Quel bonheur d’être là! La boucle est bouclée même s’il ne s’agit pas du parcours traditionnel je suis content de l’avoir fait malgré tout. C’est une belle aventure, l’ambiance est tout de même extraordinaire et je me suis fait plaisir malgré mes énormes doutes au départ. Je peux maintenant aller acheter la mascotte de la course que je m’étais promis d’acheter si je finissais et je me vois offrir la tasse et le couteau officiel !!!

170ème sur 2482 et 2126 arrivants en 15:43:29

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